La 'décivilisation' est passée par une privatisation de la République

Philippe Brindet - 27/05/2023

Macron, lors du précédent Conseil des Ministres a critiqué la "décivilisation". Comme j'ignore largement le contexte - par manque d'intérêt - je serais certainement hors propos en critiquant ou en abondant le sens de Macron. Ce que les journaux ont abondamment commenté, c'est que le "concept de décivilisation" comme il est dit "avec dégoût", serait une trouvaille de l'auteur Renaud Camus, déjà "inventeur de concept de grand remplacement". Vous imaginez alors ici les torrents d'insultes concernant le complotisme, l'extrême-droite, le fascisme, la haine, ...

De manière amusante, la "sortie" de Macron - à qui on prête trop souvent un "machiavalisme" de salon - aurait été - d'après des communiquants de l'Elysée, tiré de Norbert Elias, un sociologue qui aurait été très en vogue il y a encore quelques années. Cette déviation du ballon d'un adroit coup de tête a amusé un politologue britannique, qui s'est alors plutôt intéressé à la politique britannique et l'éviction "bizarre" de Boris Johnson, devenu représentant de commerce de Zelinsky. A défaut d'être celui de Biden.

Je voudrais faire deux remarques sur le sujet.


En France , les politologues critiques commettent l'erreur de croire que les fautes - que dis-je, les crimes - qui nous conduisent à la décadence, au déclin, à la décivilisation, à ... tout ce que vous voudrez de mauvais - sont franco-françaises. Par exemple, avec un tel état d'esprit, voter pour un opposant de Macron nous éviterait la "décivilisation" ou ce genre de choses. On sait pourtant ce qu'il faut en penser.

Les maux qui déchirent la société française sont identiques en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne, en ... Mais pas en Russie, pas en Chine, pas en ... Ils en ont d'autres ... Très souvent, les maux qui nous conduisent au déclin viennent d'idéologies dont la forme "achevée" a souvent été développée dans les universités et les "think tanks" américains. L'une d'elle, le wokisme, vient certainement des Etats-Unis, de certains mouvements assez peu intellectuels de la révolte afro-américaine. Quand le wokisme a fini par atteindre l'université américaine, il y a rencontré un mouvement idéologique français, le mouvement de la déconstruction animé par des gens comme Derrida.. C'est dans ce creuset que s'est développé le "wokisme". Il n'a aujourd'hui plus rien à voir avec un américanisme particulier. Il est un mouvement propre au monde occidental américanisé.

Toutes les folies qui agitent encore le cadavre de l'occident américain : climatisme, genrisme, wokisme, DEI, ESG, ... ne sont possibles que parce que l'immense majorité des gens n'ont plus le niveau d'instruction nécessaire pour résister à des lubies d'une stupidité incroyable. Mais ne dit-on pas : "je crois parce que c'est absurde ..."

Et "çà" marche ! Plus l'impulsion est stupide - le vaccin, le confinement, le véhicule électrique, ... - plus la réaction populaire est unanime dans la soumission à la stupidité.

Politiciens, si vous voulez lutter contre la "décivilisation", vous devrez réaliser deux choses : comprendre que votre petit univers politique national dépend d'autres et que l'ignorance emmène vos électeurs sans défense vers la "décivilisation". Il n'y a plus d'autre politique possible sans ces deux prérequis.


Dans l'article "The Tories aren't victims of the Blob. They created it", Radomir Tylecote - 25/05/2023 dans The Telegraph que je citais plus haut, l'auteur fait une révélation passionnante :

This points to a crisis which extends far beyond the fate of Boris Johnson. Working as a special adviser, I worried that some civil servants were treating elected ministers, especially Brexiteers, as just another group of "stakeholders". Actual decision-making power has been moving from elected representatives to so-called experts (or, more exactly, bureaucrats).

Jusqu'ici, rien de bien nouveau. Celà fait des années que beaucoup de politiciens et de politologues ont identifié le danger de l'Etat moderne, pourtant républicain et démocrate : la haute fonction publique décide à la place des politiciens républicains. élus de la démocratie ! Cela est identiquement vrai partout en occident américanisé : Etats-Unis, sûrement, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, France, ... Et celà depuis plusieurs dizaines d'années. La raison invoquée est celle de la technicité de plus en plus complexe de l'Etat moderne. Voire ...

Mais Tylecote fait une autre découverte :

A series of reforms since the Blair years made civil servants effectively un-sackable by ministers and unleashed the sock-puppet state-funding of left-wing charities, undermining the policies officials are supposed to enact. The British people may elect leaders at the ballot box, but are then left watching as those politicians become little more than performing frontmen, PR agents whose job it is to present policies drawn up in Whitehall as "conservative".

Lui aussi analyse la situation britannique comme "extraordinaire", "nationale", ... Or, la même chose existe aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne, en France, ... Et, restant insulaire, il remarque :

The government's Prevent programme, established to address the threat of Islamist terrorism, was rapidly expanded so that "extremism"t ended up implicitly meaning a failure to subscribe to left-liberal beliefs. [...] Democracy feels skin-deep, like a "cosmetic democracy", because ministers have little control over which civil servants work for them.

La France, l'Allemagne, l'Italie,n les Etats-Unis sont strictement dans le même état : plus de république, plus de démocratie. Pire que les inamovibles bureaucrates dénoncés par Tylecote, il y a les ONGs, les think tanks", les clubs et autres "cercles" qui décident, dans le privé, contre la démocratie, contre la République. Pire que tout cela, il y a les "cabinets de conseil" du secteur privé qui ont investi tous les exécutifs, et qui peu à peu remplacent - en bien pire - les "bureaucrates de la Fonction publique".

Aucun politicien ne pourra rompre "localement" avec ces pratiques mafieuses du secteur privé, affranchi de la République et ennemi de la démocratuie, si ce politicien audacieux et clairvoyant ne détruit pas globalement la mafia ! Comment faire ? C'est le problème du politicien. Pas le mien. Nous avons succombé dans la décivilisation de Macron - Hollande - Sarkozy.


Revue C-Politix (c) 27 Mai 2023